Violence et médiation, quelle médiation ?

La violence dans un nuage de mots

Dans les contextes de violence, notamment conjugale, la question de recourir à la médiation se pose. Pour les uns, la médiation serait une démarche contraire à l’intérêt de la victime. Elle pourrait permettre à l’agresseur de se trouver abusivement en posture d’égalité, ce qui diminuerait la victime. D’autres pensent que la médiation devrait quand même être mise en place, sans pour autant épargner à l’auteur des violences une sanction judiciaire. Cependant, en sortant de l’approche traditionnelle de la médiation axée sur l’empathie et la prise de conscience raisonnée (cf. raisonnable), une autre forme d’intervention apparaît possible, avec des conceptions et des postures différentes. Cette médiation d’ingénierie relationnelle peut avoir des résultats très performants pour les relations interpersonnelles.

Pour beaucoup d’intervenants dans le champ de la médiation familiale, il y a incompatibilité entre des actes de violence et une intervention de médiation. En effet, il n’y a pas unanimité. Les raisons de ce positionnement non favorable au recours à la médiation par rapport à certaines formes de conflits conjugaux sont liées à des aspects idéologiques et confessionnelles qui ne se disent pas. Ces conceptions reposent sur des représentations morales qui tissent cette manière de considérer les comportements et l’application d’une forme d’intervention. 

Pour ceux qui tendent à exclure la médiation au regard de ce qui a pu humilier, brimer, ou agresser une personne, la violence doit être punie. Il leur apparaît plus pertinent, à défaut de pouvoir appliquer la loi du talion, de faire punition contre violence. Cette manière de voir est imbriquée dans l’héritage culturel de la représentation de ce qui fait une personne. On y trouve la notion de volonté, de conscience, d’intention et de responsabilité. Le fait d’être persuadé qu’une personne agit délibérément et d’une certaine manière engendre des préjugés. Dans cette perspective, on suppose que ses réactions sont volontaires et qu’elle a la capacité de se contrôler. Si elle a des comportements violents, on la perçoit comme intentionnellement agressive et dégradante envers autrui. 

Dès lors, il apparaît logique de se dire que sa conscience pourrait sembler meilleure si une chose de même type était faite en retour. Ce type de préjugés est lourd de conséquences. Dans tous les cas, l’idée même d’une démarche visant à favoriser une communication apparaît illusoire, puisque la personne est considérée comme bien consciente des causes et des effets de ses agissements. C’est ainsi qu’en prêtant à cette personne l’intention d’une prise de pouvoir sur l’autre, la violence apparaît un moyen stratégique. Ainsi, de ce point de vue, il semble logique que toute intervention tendant à introduire de la bienveillance, de l’empathie et du raisonnable ne saurait être adaptée.    

Cette conception est affirmée auprès des structures d’Etat où elle est retenue comme vérité scientifique. La force avec laquelle cette thèse est défendue contribue à limiter les recours à la médiation, tant les arguments paraissent fondés. L’interprétation est pourtant la règle et les présupposés sont un principe. On y attribue aux personnes violentes des états de conscience que l’on tend à nier chez les personnes en condition de victimes.

Les violences conjugales sont caractérisées par un rapport de domination et de prise de pouvoir sur la victime. L’objectif de l’auteur est de contrôler sa partenaire. Ces violences créent un climat de peur et de tension permanent.” (Rapport d’information n° 425 (2015-2016), déposé le 29 février 2016. Sénat.)

Cette conception des buts de la violence dans les relations conjugales est lourde de conséquences. Certes, elle identifie une position de victime. Elle consiste aussi à définir une stratégie de contrôle, par la création d’une ambiance relationnelle. Elle dresse le constat de l’impact affectif en pointant les effets tels que le sentiment de culpabilité, la perte de l’estime de soi et d’autonomie, l’isolement et le stress. Elle conduit à faire le parallèle avec le fonctionnement des rapports de séduction qui peuvent être observés dans les environnements sectaires. De ce fait, il est recommandé aux professionnels qui accueillent les victimes de savoir se prémunir de “ce qui fait la force des personnes capables de mettre les autres sous emprise”. Pourtant, rien ne dit que l’interprétation de l’objectif de l’auteur des violences soit juste. Tout le raisonnement repose sur un prêt d’intention que rien ne démontre, sinon une hypothèse doctement affirmée.

Il peut être judicieux de faire le parallèle entre les contextes de violences et ce qui est observable dans la dynamique conflictuelle. Au préalable, nous devons distinguer l’agression qui a un caractère immédiat, de la dispute qui peut être verbalement virulente mais dans des formes de contestation mutuellement acceptables. Néanmoins l’une et l’autre peuvent dégénérer en violence et cette violence peut prendre le caractère d’une expression habituelle. 

La violence conjugale est de cette nature : une violence devenue un mode relationnel habituel. Il s’agit d’un type de relation consistant dans le fait d’infliger des coups verbaux et/ou physiques. La violence verbale a une connotation chargée de mépris, des propos pour placer l’autre en inférieur, en dominable, en dominé, en dépendant, en posture de servilité et d’obligeance. Elle a la même finalité que les systèmes ancestraux de la féodalité, considérant qu’il existe des personnes dominantes et d’autres dominées par nature ou par situation, chacun devant accepter sa condition. 

Toutefois, cette intellectualisation des relations de violence ne fait pas toute la description de la situation. Il existe de nombreuses situations de violence qui n’ont aucune espèce de conceptualisation. Elles sont enfermées dans des rapports spontanés, sans la moindre idéation qui pourrait effleurer la conscience. Ces relations de violence sont le fait d’une réaction qui est répétée par une limite de l’aptitude à réfléchir. A la lumière de cette observation, une démarche de médiation peut bien paraître opportune et opérationnelle.  

La tentation est de verser dans la pensée sécuritaire. Si la médiation est considérée comme un moyen de substitution au système judiciaire, alors elle est inadaptée. Par contre, si elle est un moyen pour contribuer à l’épanouissement de la conscience, à l’usage de la réflexion et à l’exploration de la rationalité pour structurer une pensée non maîtrisée, alors elle devient nécessaire. 

Ainsi, deux conceptions de la médiation apparaissent, une conception dépendante de la même idéologie que le système judiciaire, avec une tendance à y voir une “justice douce”, ou “médiation restaurative” ou “justice restaurative” et une médiation pédagogique, fondée sur l’ingénierie relationnelle. Cette deuxième conception de la médiation place le système judiciaire en alternative.

La mise en place de cette forme de médiation, basée sur l’ingénierie relationnelle, nécessite une formation spécifique des médiateurs professionnels. Ils doivent maîtriser un ensemble de techniques, de processus et de postures. C’est avec ces savoir-faire que les professionnels peuvent travailler à partir de la reconnaissance des schémas limitants que les personnes violentes peuvent avoir avec des comportements répétitifs sans réelle prise de conscience de leurs actions. L’intervention de médiation d’ingénierie relationnelle sert de catalyseur. Elle amène les personnes à réfléchir sur leurs comportements et leurs conséquences. Elle transmet des repères en matière de relation. Elle favorise le développement de la conscience, le renouvellement et l’augmentation de la capacité de communication.

Ainsi, plutôt que de limiter le recours à la médiation, il conviendrait de revoir en quoi consiste la médiation. Il serait possible de reprendre les fondamentaux sur lesquels la médiation est fondée. Dès lors, le développement d’un nouveau droit pourrait s’envisager, celui du droit à la médiation, plutôt que de s’en tenir à une conception dépassée du “droit d’accès à la justice” qui consiste à priver les personnes de leur réflexion personnelle, jusqu’à les limiter dans leur liberté de décision.

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